Le sommeil du juste
Dormir n’est pas un privilège donné à tout le monde. Mon chat est là pour me le rappeler. On dit du sommeil du juste qu’il est celui d’une personne qui n’est troublée par aucuns remords. Ai-je des remords pour quelque vile action aussitôt oubliée que perpétrée ? Je ne saurais trop dire. Je ressens en effet une étrange et sourde culpabilité dont je ne connais trop l’origine. Ai-je hérité, en commençant cette vie-ci, des remords d’une existence antérieure dont je n’ai plus aucun souvenir, mais qui me tenaillent néanmoins aujourd’hui ? Cette culpabilité s’est alors matérialisée dans l’intervention vengeresse de ce chat qui tente de rétablir ainsi l’équilibre karmique du sommeil dans l’univers ? C’est certainement ça.J’imagine qu’il faut savoir mériter le sommeil du juste. Celui qui peut dormir sur ses deux oreilles n’a aucune raison d’avoir un chat qui l’empêche de dormir. Il y a une justice, malgré tout, j’en suis certain. Il ne peut en être autrement. Je suis persuadé qu’il existe une quantité limitée d’heures de sommeil disponibles pour tous les êtres vivants. Pour chaque ours qui dort jusqu’à l’été, n’ayant pas entendu son réveil au printemps, il y en a un autre qui se réveille au milieu de l’hiver, fort mécontent. Il en est ainsi également pour les humains. Il y a les justes qui peuvent dormir tout leur saoul et puis les insomniaques qui n’ont droit qu’aux miettes laissées par quelque dormeur gourmand ayant engloutit à lui seul toutes les heures de sommeil d’une ville entière, dans quelque orgie de sommeil impossible. Des minutes grappillées ici et là, quelques moments d’inattention de mon chat qui a relâché sa garde, me permettent de goûter pour un instant fugitif à un sommeil qu’il ne m’est pas autorisé d’espérer.
J’ai dû faire quelque chose de mal, un jour. C’est certain. La belle au bois dormant, ça devait être moi. Et aujourd’hui mon chat me rappelle que je ne peux passer ma vie à dormir. C’est moi, ton prince, me dit-il. Et je te réveillerai chaque nuit, chaque matin d’un miaou tonitruant pour que tu te souviennes qu’on ne peut dormir ainsi impunément à attendre l’impossible.
Je ne connais pas le sommeil du juste. Ça, c’est entendu. Je ne rechigne pas : je suis résigné. J’attends tout simplement que la roue tourne, qui la grande horloge cosmique en vienne à indiquer pour moi l’heure de dormir enfin. Une fois mon karma expié, je pourrai peut-être enfin dormir tranquille. Alors mon chat se blottira contre moi et ronronnera tout doucement d’un ronron qui me fera entrer dans un long sommeil réparateur. Et puis au moment même où j’aurai l’impression de me rendre jusqu’aux heures grasses de la matinée, j’entendrai un miaou retentissant : allez c’est l’heure… ! Faut pas exagérer, quand même !
merci
RépondreSupprimermerci
RépondreSupprimerBienvenue
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