lundi 4 février 2019

Le sommeil du juste

Le som­meil du juste

Dormir n’est pas un priv­ilège donné à tout le monde. Mon chat est là pour me le rap­peler. On dit du som­meil du juste qu’il est celui d’une per­sonne qui n’est trou­blée par aucuns remords. Ai-​je des remords pour quelque vile action aus­sitôt oubliée que per­pétrée ? Je ne saurais trop dire. Je ressens en effet une étrange et sourde cul­pa­bil­ité dont je ne con­nais trop l’origine. Ai-​je hérité, en com­mençant cette vie-​ci, des remords d’une exis­tence antérieure dont je n’ai plus aucun sou­venir, mais qui me tenail­lent néan­moins aujourd’hui ? Cette cul­pa­bil­ité s’est alors matéri­al­isée dans l’intervention ven­ger­esse de ce chat qui tente de rétablir ainsi l’équilibre karmique du som­meil dans l’univers ? C’est cer­taine­ment ça.
J’imagine qu’il faut savoir mériter le som­meil du juste. Celui qui peut dormir sur ses deux oreilles n’a aucune rai­son d’avoir un chat qui l’empêche de dormir. Il y a une jus­tice, mal­gré tout, j’en suis cer­tain. Il ne peut en être autrement. Je suis per­suadé qu’il existe une quan­tité lim­itée d’heures de som­meil disponibles pour tous les êtres vivants. Pour chaque ours qui dort jusqu’à l’été, n’ayant pas entendu son réveil au print­emps, il y en a un autre qui se réveille au milieu de l’hiver, fort mécon­tent. Il en est ainsi égale­ment pour les humains. Il y a les justes qui peu­vent dormir tout leur saoul et puis les insom­ni­aques qui n’ont droit qu’aux miettes lais­sées par quelque dormeur gour­mand ayant engloutit à lui seul toutes les heures de som­meil d’une ville entière, dans quelque orgie de som­meil impos­si­ble. Des min­utes grap­pil­lées ici et là, quelques moments d’inattention de mon chat qui a relâché sa garde, me per­me­t­tent de goûter pour un instant fugi­tif à un som­meil qu’il ne m’est pas autorisé d’espérer.
J’ai dû faire quelque chose de mal, un jour. C’est cer­tain. La belle au bois dor­mant, ça devait être moi. Et aujourd’hui mon chat me rap­pelle que je ne peux passer ma vie à dormir. C’est moi, ton prince, me dit-​il. Et je te réveillerai chaque nuit, chaque matin d’un miaou toni­tru­ant pour que tu te sou­vi­ennes qu’on ne peut dormir ainsi impuné­ment à atten­dre l’impossible.
Je ne con­nais pas le som­meil du juste. Ça, c’est entendu. Je ne rechigne pas : je suis résigné. J’attends tout sim­ple­ment que la roue tourne, qui la grande hor­loge cos­mique en vienne à indi­quer pour moi l’heure de dormir enfin. Une fois mon karma expié, je pour­rai peut-​être enfin dormir tran­quille. Alors mon chat se blot­tira con­tre moi et ron­ron­nera tout douce­ment d’un ron­ron qui me fera entrer dans un long som­meil répara­teur. Et puis au moment même où j’aurai l’impression de me ren­dre jusqu’aux heures grasses de la mat­inée, j’entendrai un miaou reten­tis­sant : allez c’est l’heure… ! Faut pas exagérer, quand même !

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