Œuvres complètes, Bibliothèque de La Pléiade, Éditions Gallimard, 1952
Écrit entre 1519 et 1520, L’art de la guerre se présente comme un manuel des affaires militaires à destination du prince italien, d’où sa forme discursive. Nicolas Machiavel, dont je n’aurai pas ici l’impudence de rappeler l’influence sur les sciences politiques du XVIe siècle jusqu’à nos jours, y dispense les conseils susceptibles d’animer la virtù de tout général en chef. Par virtù,
concept central de la pensée machiavélienne, il faut entendre la
capacité humaine, éminemment politique, à s’adapter et à influer sur le
cours des événements.
La lecture de L’art de la guerre
peut parfois s’avérer fastidieuse, notamment lorsque l’auteur s’attarde
à nous décrire par le menu sa composition idéale d’une armée, bataillon
par bataillon, ou encore la manière de dresser un camp, avec les
emplacements précis de chaque tente ou corps de garde. Heureusement la
traduction proposée par La Pléiade ne tombe jamais dans le poussiéreux, et ravive la nature moderne de ce discours.
La plume de Machiavel résume ainsi avec clarté tous les aspects
quotidiens de l’ordonnancement militaire : l’armement, l’exercice des
soldats, les dispositions tactiques, la garde d’un camp, le rôle des
officiers, la manière d’organiser et d’assiéger les fortifications, les
ruses de guerre, etc. Par ailleurs, n’oublions pas que Machiavel milite
pour la constitution permanente d’une milice nationale de métier, seule
armée capable, à ses yeux, d’assurer une certaine pérennité du pouvoir
militaire. Cette milice nationale doit être composée prioritairement
d’infanterie (piquiers, gens d’armes, vélites) : « il est hors de doute
que le nerf d’une armée est l’infanterie ». Si cela ne l’empêche pas
d’aborder de temps à autre l’utilisation de la cavalerie ou de
l’artillerie, son ouvrage pêche dans l’absence d’une réelle pensée
interarmes, enjeu qui se dégageait pourtant alors du conflit
géographiquement proche de la Guerre de Cent Ans. À cette limite géographique de L’art de la guerre
machiavélien, dont l’efficience est forgée dans le contexte historique
des rivalités entre principautés italiennes, s’ajoute le peu de variété
de ses sources d’influence. Le penseur florentin s’inspire en effet
quasi exclusivement des méthodes de l’armée romaine antique, qu’il érige en exemple suprême. L’art de la guerre
romain a bien sûr beaucoup de choses à nous apprendre, mais l’on peut
toutefois regretter que Machiavel n’ait pas convoqué des exemples
stratégiques tirés d’époques et de civilisations plus diverses. Il n’en
reste pas moins qu’il relie ici de manière assez talentueuse les enjeux
politiques du pouvoir régalien à l’impératif de professionnalisation des
armées.
Par Matthieu Roger
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire